La plus grande spiritualité, c’est de ressentir le profond infini qui nous entoure. Je l’avais compris, jeune déjà, lorsque j’observais les étoiles recouvertes de leur grand manteau noir. Petite, je m’allongeais souvent dans l’herbe pour observer le ciel aux côtés d’Ivan et Elias. Imaginer l’infinité de tout, c’était ce qui me rapprochait le plus de ce en quoi je croyais. Plus grande, c’est ainsi que je m’étais faite une idée de la mort. J’avais enfin trouvé une croyance à laquelle me raccrocher. L’infinité. L’éternité. Jamais je n’aurais imaginé terminer dans un terrier. « Bordel de… » Je ne finis même pas de jurer que je crache hors de mes lèvres des poils blancs qui me grattent la langue. Dégueulasse. Il y en a plein le sol, et je préfère croire que ce sont de faux ossements autour de moi. Et c’est quoi qui me fait si mal au derrière ? Une tête de cheval reliée à un bâton et accroché à ma ceinture. J’ai passé l’âge de jouer au poney merde, qu’est-ce que ce truc fout là. Machinalement je lève les yeux vers ce trou duquel je viens. La chute a été longue, mais moins douloureuse que ce que je pensais. C’est sans grâce ni féminité que je me relève, finissant d’épousseter ma tenue. Je porte encore mon uniforme d’hôtesse. C’est étrange, j’aurais cru que pour ma grande entrée au paradis, je serais nue comme un vers, ou au moins habillée d’une belle longue toge genre muse de tragédie grecque. Mon cul oui. Et où sont donc les magnifiques demi-dieux qui servent le nectar. Moi qui pensais manger du raisin sur leurs beaux pectoraux. La mort n’est pas si amusante que ça. Un soupir s’échappe de mes lèvres, long et glacial. J’observe l’endroit de long en large en me frottant frénétiquement les bras, attendant, simplement. Peut-être que quelqu’un viendra me chercher. Si le temps ici s’écoule lentement, il vaut mieux que je continue à penser à des idioties, avant de me laisser envahir par la peur. Un cri, strident et lointain fait trembler mon échine. En l’espace d’une seconde, je me retrouve le nez de nouveau contre le sol, et avec un terrible mal de dos. Quelque chose, ou quelqu’un, vient de me tomber dessus. Je gigote violemment pour rouler et m’éloigner, avant de me cogner contre une pierre. Rien qu’une égratignure sur mon bras, mais une goutte de sang tout de même, glissant et rebondissant sur le sol. Mon regard se perd un instant dessus, avant de dériver brusquement vers le corps recroquevillé de la fille qui vient de tomber. « T’es qui toi ?! » Je ne cherche pas à paraitre agressive mais c’est plus fort que moi, et ma voix assassine résonne sur les murs. Avec tout ce bouquant, on a attiré quelque chose à nous. Quelque chose d’immonde. On dirait, un gros nuage de pétrole qui a bouffé un poupon. Je ne sais pas pourquoi ni comment, mais le nom pour désigner cette chose me vient immédiatement. « Une ruine… UNE RUINE ! » Poussée par un instinct de survie, je me relève et pousse derrière moi la fille d’un coup d’épaule. Réflexe d’antan, je plonge ma main sous ma jupe, cherchant du bout des doigts mon revolver qui devrait toujours être accroché à mon porte jarretelle, mais rien. Merde. Je lance un regard angoissé vers cette fille, sûrement plus déboussolée par le monstre devant nous que par sa chute, tout comme moi. Il me reste encore ce cheval bâton. Je le lève au dessus de ma tête et court vers l’horreur noire, avant de lui asséner un coup, puis deux, puis trois. Je ne pense plus à rien, rien d’autre qu’à décimer la bête comme s’il m’en coutait la vie. Les masques de poupon se brisent, le nuage de pétrole fond pour glisser sur le sol. Je soupire et m’essuie la sueur du front avant de ramener mes mèches folles en arrière. J’ai les jambes lourdes et engourdies. C’est un cauchemar. « Ça va, tu n’as rien ? »